De Cape et de Crocs - L'Impromptu

Une Nouvelle Version


Entretien avec Baptiste Belleudy, metteur en scène.
Propos recueillis par Julien Lemouel.
(la note d'intention du spectacle est sur la page de la version d'origine, ici)


Un drôle de chemin a été parcouru depuis le 17 juin 2010, date de la première représentations de l'Impromptu, au Théâtre Pierre Lamy à Paris. Comment est né ce projet de jouer le spectacle devant la façade du château de Vaux-le-Vicomte ?

Baptiste Belleudy : En fait, c'est un projet un peu particulier que cette reprise de l'Impromptu à Vaux-le-Vicomte, puisque c'est justement à l'issue de cette première représentation du 17 juin 2010 que Ascanio de Vogüé, de la famille des propriétaires de Vaux, nous a proposé de jouer le spectacle d'une part en plein air sur le parvis du château, et d'autre part dans une version spéciale ; à partir du moment où l'on quitte la salle de théâtre, tout ce qui était suggéré en coulisse – les bruits d'animaux, la diligence, les explosions – est désormais donné à voir au public. Et comme le cadre est gigantesque, cela implique forcément une scénographie plus ambitieuse, plus vaste ! En même temps, il faut garder le parfum du spectacle original… C'est donc un sacré défi.


Le spectacle original fonctionne bien en l'état. Qu'est-ce que cette nouvelle dimension, concrètement, va apporter au public ?

C'est ça qui est intéressant et complètement inédit, je pense, et c'était aussi la démarche de la famille de Vogüé : il y a à la fois un cadre prestigieux et une imagerie qui doit visuellement émerveiller le public, et en même temps cela reste du théâtre : quelque chose qui dépend de la performance des comédiens et d'un jeu vrai, direct. Ce n'est pas un son et lumières – c'est important de le souligner, le spectacle n'est pas préenregistré, c'est une pièce de théâtre qui repose vraiment sur le jeu des interprètes. Même s'il y a un soutien vocal avec des micros – 24 micros tout de même, comme dans un spectacle de Broadway ! – c'est eux qui font avancer le spectacle. Et en même temps, il y a tout le reste : les décors, la musique, la pyrotechnie qui sont là pour encadrer et magnifier les performances de cette troupe de comédiens qui a le privilège de jouer dans de telles conditions…


L'unité de la troupe joue pour beaucoup dans la réussite du spectacle. Pour un tel cadre, le nombre de comédiens a-t-il augmenté ?

Non, justement ; si une équipe de techniciens menés par Gilles Van Brussel nous a rejoint, il s'agit toujours de la même troupe de comédiens, avec trois personnes sur scène en plus pour s'occuper des animaux : moutons, poules, chevaux et le poney de l'Estafette ! Dans l'ensemble, la distribution est donc restée la même. Simplement, il fallait peupler davantage cet immense plateau au cours du spectacle ; engager des figurants ou employer des bénévoles aurait peut-être nui au dynamisme de l'ensemble, et donc ce qu'on a décidé très rapidement, c'est que le nombre de comédiens ne changerait pas, mais que ceux-ci allaient jouer davantage de personnages ! Dans la version originale, certains rôles étaient plus réduits, ils apparaissaient parfois brièvement puis manipulaient des trucs en coulisse, il n'y avait qu'à la fin que toute le troupe était réunie sur scène. Désormais, les comédiens et les comédiennes sont sollicités au maximum, en changeant très rapidement de costume et de perruque pour interpréter de nouveaux personnages : mousquetaires, espagnols… Du coup, il a fallu inventer de nouvelles silhouettes, concevoir et fabriquer de nouveaux costumes pour ces personnages additionnels. Pour donner une idée de la tâche à accomplir, dans la version originale du spectacle: nous étions 23 comédiens pour 26 personnages ; dans la version spéciale Vaux-le-Vicomte nous serons 26 sur scène, mais cette fois-ci pour 70 personnages ! Certaines scènes, comme celle des mousquetaires au début ou celle du médecin chez les Espagnols, deviennent vraiment des scènes de groupe et y gagnent en ampleur, là, le plateau est davantage peuplé ! Mais pour toutes ces transformations, il faut ruser et bien travailler les changements rapides… Le spectacle sera aussi en coulisse, je crois !


Un sacré challenge, donc…

Oui, heureusement on a des habilleuses extra, et on va beaucoup, beaucoup s'entraîner ! De même, les nouveaux décors du spectacle ont été conçus pour servir aussi de coulisses, puisqu'il n'y a pas de rideau de scène, ni même de scène à proprement parler puisque nous jouons sur les différents niveaux du parvis. On utilise vraiment la façade, avec les balcons, l'entrée principale. Avec en plus toutes les chandelles dans le parc… De même, les éléments de décor disposés un peu partout devant le château permettent de dissimuler les dispositifs de lancement des effets pyrotechniques. C'est assez complexe à gérer, mais comme l'équipe est extra la collaboration entre les différents postes est passionnante. En tout cas c'est intéressant de revisiter le spectacle en y apportant des choses dans le même esprit, dans le même univers. L'histoire reste la même, mais on élargit le cadre, on ajoute des détails…


Justement, est-ce que des scènes ont été ajoutées ? Va-t-il y avoir plus d'action, plus de passages spectaculaires ?

La priorité reste l'histoire. Même si ce qui était suggéré est maintenant montré, même si au lieu d'un bruitage une vraie diligence va arriver sur scène, la priorité reste l'intrigue et le rythme avec lequel elle est racontée. L'humour naît aussi de ce rythme, il faut vraiment que le spectateur reste sur cette idée de foisonnement visuel, de tous ces petits détails qui font la richesse de cet univers et qu'on n'aperçoit pas forcément du premier coup d'œil – et qui font tout le sel de la BD ! C'est important de rester fidèle à la bande dessinée, à cet univers absolument foisonnant et génial, dans lequel c'est justement la multiplicité des actions qui donne cette richesse, ce mouvement. Alors forcément, sur une scène plus vaste, avec davantage de personnages sur scène, ce sera peut-être plus riche, mais l'idée reste avant tout de raconter de la meilleure façon possible l'histoire de la pièce, de servir au mieux le texte. À nous, ensuite, de nous adapter au lieu et de faire que, dans ces conditions, ce texte soit servi le mieux possible. Rien n'est gratuit : s'il y a des trouvailles et des digressions de toutes sortes, elles restent au service d'un fil conducteur. Pour donner une impression de bazar, il faut bien savoir où l'on va ! Du coup, derrière, il y a une logistique et un travail extrêmement précis ; pour qu'il y ait fantaisie, il faut de toute façon être bien organisé, cela nécessite de la part des comédiens et de l'équipe en coulisse un travail conséquent.


Avec cette introduction d'éléments hors-champ dans le champ, du passage de marionnettes à de vrais animaux, peut-on parler dès lors de théâtre « réaliste » ?

Il y a de ça ; tout à coup on a un théâtre qui repousse ses coulisses, c'est ça qui est amusant dans ce projet ! C'est d'autant plus intéressant qu'avec De Cape et de Crocs – l'Impromptu, on a une farce héroïque ; c'est un univers fantaisiste, farcesque, mais la farce et la fantaisie ont beaucoup plus d'impact quand elles surviennent dans un univers relativement réaliste. Le comique naît du décalage, du ton, des situations, du rythme, de la tête de certains personnages ! Mais c'est plus intéressant si on est tout à coup en pleine guerre des Flandres, avec des gens sont maculés de boue et en plein dans la situation – qui est une situation de guerre ! De la même façon, il faut que Léandre et Lucinda aient l'air vraiment amoureux, que les interprètes ne jouent pas de manière « théâtrale », caricaturale, mais qu'ils soient aussi concernés que s'ils jouaient Titus et Bérénice ! Par conséquent, on s'identifie à ces personnages, on a de l'empathie pour eux. Le réalisme sert de base pour faire naître ensuite l'humour et l'émotion. Pour terminer avec cette question du réalisme, il est intéressant de noter qu'on avait déjà répété la version originale du spectacle en extérieur, afin de nous comporter ensuite sur le plateau comme si nous étions dehors – tenir son chapeau pour qu'il ne s'envole pas, respirer large... Il s'agit donc dans le spectacle d'un réalisme légèrement exagéré pour rendre justice à la BD et à toute les références qu'elle convoque : Rostand, Molière, Jacques Callot, Rembrandt… C'est un univers particulier qui n'est pas une stricte reconstitution historique mais qui est réaliste parce que cohérent dans son ensemble. Il est toujours passionnant d'incarner, de rendre réels des personnages farfelus ; ça demande à la fois une certaine dose de folie et une sincérité, un engagement de la part du comédien.


C'est un spectacle tous publics ? Qui peut venir ?

Tout le monde ! Oui, c'est un spectacle tous publics – à ne pas confondre avec un spectacle uniquement jeune public. Je suis persuadé qu'on peut tenter d'être pointu et ambitieux et en même temps s'adresser à tout le monde ; il y a plusieurs degrés de lecture dans le spectacle, c'est vraiment appréciable de sept à soixante-dix-sept ans, et au-delà ! Notre objectif est de surprendre le public, de le ravir, pourvu qu'il soit curieux. Le spectacle n'est pas non plus réservé uniquement aux fans de la BD – même si ces derniers, je pense, y trouveront leur compte ! – et nous avons abordé cette farce héroïque comme une œuvre du répertoire classique ; c'est une pièce que nous sommes fiers de faire découvrir aux gens, en les entraînant dans cet univers. Les spectateurs sont vraiment invités à voir du théâtre – mais dans un endroit féerique ; à nous d'être à la hauteur ! Ce n'est donc pas une animation devant un monument ni un spectacle son et lumières, mais du théâtre qui s'invite dans ce cadre prestigieux qu'est Vaux-le-Vicomte.


Merci pour cet entretien. Un mot de conclusion ?

Oui : venez nombreux !


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