NOTE D'INTENTION

Vouloir raconter sur scène La Tragique Histoire d’Hamlet, Prince du Danemark, c’est accepter d’abandonner ses certitudes, pour plonger dans un univers multiple, où règnent violence et mystère.

On ne peut qu’être frappé, tout d’abord, par l’écart impressionnant qui existe entre l’image de la pièce véhiculée par l’inconscient collectif - statique, hermétique, intellectuelle - et sa teneur véritable : un théâtre où les corps se heurtent, et où le langage, explosé et réinventé, laisse entrevoir une pensée extraordinairement riche, toujours en action.

On l’oublie souvent : le théâtre élisabéthain s’adresse avant tout à son public. Le nerf de l’écriture shakespearienne reste la nécessité de captiver des spectateurs d’origines sociales très diverses, qui restaient parfois debout pendant plusieurs heures au bord de la scène, hameçonnés par l’envie dévorante de connaître la fin de l’histoire. « Shakespeare n’a jamais voulu qu’on étudiât Shakespeare » , écrit Peter Brook. Et en effet, c’est un grand frisson d’immédiateté qu’il nous faut retrouver.

Cette saga foisonnante de près de quatre heures nous jette au visage une soudaine perte des repères, une cassure irréversible entre deux mondes : Hamlet, homme de la Renaissance, doit-il venger son père, roi guerrier dont l’apparition spectrale sur les remparts d’Elseneur le laisse dévasté d’angoisse ? Claudius, l’oncle d’Hamlet et le nouveau roi du Danemark, est-il coupable ? Ou est-ce son hâtif remariage avec la femme de son frère, la reine Gertrude, qui le rend criminel aux yeux de son neveu ? Est-ce un démon né de sa colère qui vient tenter Hamlet ? Lui faut-il sacrifier son amour pour la belle Ophélie, jeune fille au cœur pur mais sous la coupe d’un père abusif, le ministre Polonius ? Comment être sûr, quand c’est un sang brûlant qui empoisonne les veines du prince et que tous ceux qui l’entourent lui semblent jouer un jeu de dupes, absurde et répugnant ?

Dans un monde en guerre - les envahisseurs norvégiens menacent le pays, une révolte sourde agite le peuple du Danemark - les destins s’entrechoquent, les vérités s’écroulent, Hamlet lutte avec frénésie contre les tentacules du drame. Face à lui, deux figures de fils vengeurs qui cherchent également leur destin avec rage : Fortinbras, fils du roi de Norvège, et Laërtes, l’impétueux frère d’Ophélie. Tous lancent un défi à leur époque, tous sont de brûlants portraits d’insatiables.

En nous embarquant pour les rivages tourmentés d’Elseneur, nous avons laissé de côté toute idée préconçue, tout concept inutile, pour laisser ce texte immense faire naître en nous images et caractères. Et c’est tout un univers de folie baroque, porté par une langue à la fois rude et chatoyante, qui apparaît sur les planches de ce « O » de bois. ! Un voyage où nous allons vous entraîner, vers des contrées où, nous l’espérons, souffle le vent d’un théâtre ambitieux, collectif et passionné.

C’est une histoire où les corps, les âmes, le monde se mettent en mouvement. Jusqu’au vertige.

Baptiste Belleudy
metteur en scène